Poème 《 悯农 (其一) 》 “Sympathie paysanne” (no. 2), par LI Shen

Il y a quelque temps, j’ai posté la traduction d’un poème intitulé “Sympathie paysanne” de LI Shen (dynastie des Tang). En fait, il s’agissait du 2e poème d’un diptyque. Le 1er poème est beaucoup moins célèbre que le deuxième. Je propose ici une traduction de ce premier volet.
En voici une traduction littérale :
Au printemps, on sème un seul grain à l’automne, on récolte dix mille semences entre les quatre mers, il n’y aucun champ non cultivé pourtant, des paysans meurent de faim.
Les trois premiers vers décrivent l’abondance, avec une amplification (un grain - dix mille) suivi d’une litote (double négation), vision contredite par la surprise du quatrième vers.
Un épi donne en réalité quelques dizaines de graines, mais selon les techniques, le nombre de moissons… le rendement peut effectivement être exponentiel.
J’ai exagéré l’hyperbole en remplaçant “dix mille” par “million” pour profiter de la rime. Apparemment “million” contiendrait une diérèse.
“Entre les quatre mers” est une expression littéraire métaphorique très ancienne (avant la période impériale) qui désigne l’entièreté du monde “civilisé” connu, c’est-à-dire le territoire occupé par la Chine d’alors. Il s’agissait de mers symboliques situées aux 4 points cardinaux. Je vois dans ce 3e vers une façon de louer la bonne gouvernance et l’optimisation du territoire.
C’est seulement au dernier vers qu’un paradoxe vient ternir ce paysage d’abondance. Il invite à questionner les causes de ce surprenant état de fait, qu’il subsiste encore des laboureurs démunis.
Ce poème porte un message qui n’est pas sans résonance encore aujourd’hui : sur l’exploitation d’une masse de travailleurs par une élite.
Un exemple supplémentaire illustrant que la poésie chinoise ne comporte pas uniquement des odes au printemps ou des soupirs automnaux… mais a pu aussi servir de véhicule pour des critiques plus ou moins déguisées.
La photo utilisée en image de fond est de Maksym Ivashchenko.